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samedi 28 mai 2011

Sport et Indignés: variations sur l’instant unique

Barcelone, samedi 28 mai 2011

J’ai envoyé à mon fils ce matin un message. Regarde de tous tes yeux, regarde ! Je ne sais plus comment cette recommandation surgit dans les pages de Michel Strogoff. Mon fils se trouve, pour le compte du journal L’Équipe, à Wembley où se dispute ce soir la finale de la Coupe d’Europe de football entre le Futbol Club Barcelona et le Manchester United*. J’imagine depuis la lointaine distance que le rectangle vert serti dans le stade de Londres et le ballon spécial fait d’étoiles rouges dessineront tout à l’heure des images d’instant unique.

Dans le domaine du spectacle sportif, mon instant unique à moi, c’est le saut que Matti Nykaenen, le Finlandais de 18 ans, déjà fou, déjà alcoolique, réalisa dans le brouillard de Sarajevo lors des Jeux Olympiques de 1984. Sarajevo était alors en paix, la neige recouvrait joliment les minarets, l’oiseau de feu en tunique blanche lancé du grand tremplin avait tout dépassé, y compris ses démons, dans un stade où cent mille personnes enivrées par la trace laissée dans le ciel battaient des mains comme des enfants devant une vitrine de Noël. Les clameurs auraient ravi Pindare.

L’instant unique est un précipité. L’instant unique est l’événement dans sa concentration ultime. Les Indignés de Barcelone et ceux qui les soutiennent viennent d’en vivre un. Hier, la police catalane a frappé sur les Indignats pour les sortir de la Place de Catalogne. La Catalogne qui se présente souvent comme une Blanche Neige douce et conviviale s’est cette fois lâchée. Je corrige : son gouvernement nationaliste de centre droit s’est lâché. Le catalanisme ne dissout pas forcément le fameux « instinct de classe ». Ainsi, les policiers de la « doulce Catalogne » ont pu appliquer leur cours sur les effets de la matraque démocratique. La plupart des gens cognés sont des jeunes doux comme des agneaux campant depuis plusieurs jours physiquement sur la place centrale de Barcelone et moralement sur le désespoir d’un avenir sans avenir. Quarante pour cent des moins de trente ans sont au chômage. Le gouvernement voulait “nettoyer” la place avant le match de ce soir que les jeunes cognés avaient prévu de regarder comme tout le monde. L’élève d’une école de visagisme ou de psychomorphisme devinerait au premier exercice les penchants du Conseiller à l’Intérieur (il faut savoir que les ministres sont ici des « Consellers ») ; penchants pour l’ordre dès la crèche et la maternelle, genre la femme, la fille, elles z’ont pas intérêt à mal ranger la brosse à dents. Je l’observe depuis longtemps à la télévision, jusqu’à il y a très peu il officiait dans l’opposition : facilement revêche, une batte de base-ball dans les fils du costard cravate. Enfin promu, il se lâche sur la foule pacifique des Indignats en train de tâter noblement de la démocratie directe autour des couvertures et du thé qui bout. Un instant unique aussi qui rappelle à quelques-uns ici de mauvais souvenirs.

* Évidemment, la plupart connaîtront l’issue de la partie en lisant ces lignes, mais ce n’est pas un problème.



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